Monsieur Samuel Hayward, prévôt de la Maison des Compagnons du Devoir et du Tour de France de Nantes a reçu Monsieur Jean Pierre Bourcier et l’a autorisé à publier sur le site de l’ACTE son article sur la flèche torse de Nantes.
__________________________
La flèche torse
DE NANTES
Compiègne le 16/02/2024
Bourcier Jean Pierre
________________
SOMMAIRE
1° Remerciements
2° Situation
3° Description de la flèche
4° Raccordements arêtiers torses arêtiers droits
5° Schéma de principe et épure de la courbe d’arête
6° Un peu d’histoire
7° Visite de la flèche
8° Autre flèche torse
9° Et aussi en pierre
Toute reproduction de ce texte et des épures, sur quelque support que ce soit, est interdite sans le consentement de l’auteur. All rights reserved reproduction or use to disclosure to third part, without express writer authorization is strictly prohibite
________________
1° REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier au nom de l’A.C.T.E., M. Samuel Hayward, Prévôt de la Maison des Compagnons du Devoir et du Tour de France de Nantes, qui nous a reçus et autorisés à faire cette publication, M. Patrice Boulenger, compagnon menuisier du devoir, et l’ensemble des compagnons de la Maison de Nantes, pour l’accueil qui nous a été réservé.
2° SITUATION
La flèche est située 48, quai de Malakoff, siège de l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France (A.O.C.D.T.F.).
3° DESCRIPTION DE LA FLECHE
Flèche torse construite, en 1957, sur une base pentagonale, sa rotation est de un demi-tour dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Elle est composée de deux parties: une partie inférieure droite et une partie supérieure torse, le raccordement des arêtiers droits et torses est tangentiel, ce qui est très rare dans ce type de construction.
Une lucarne à croupe sépare les deux parties.
Les arêtiers sont à pentes constantes et ont la particularité d’être en lamellé collé, le reste de la structure étant en bois massif.
La flèche culmine à 33 m. Dix ans après sa construction, une maquette, travail de réception d’un compagnon charpentier, a été réalisée.
4° RACCORDEMENT ARETIERS TORSES – ARETIERS DROITS
Sur une flèche classique, la courbe d’arête (représentée à droite) est constituée d’une seule et unique courbe qui est continue de A à B.
Sur la flèche de Nantes, la courbe d’arête (à gauche) est constituée de deux courbes ( AB ) et ( BC). Ces deux courbes se raccordent tangentiellement.
Ce design rend non seulement l’épure, mais aussi la réalisation plus complexe. L’arêtier est en lamellé collé, qui est un matériau obtenu par collage de plusieurs lamelles de bois dont le fil est parallèle, sur un moule de forme dans le cas de pièces courbes.
5° SCHEMA DE PRINCIPE ET EPURE DE LA COURBE D ARETE
En l’absence de documentation, un schéma de principe a pu être réalisé d’après des photos de la maquette.
L’épure de la courbe d’arête peut être obtenue de plusieurs façons, dont celle qui suit :
6° UN PEU D’HISTOIRE
L’idée de réaliser cet ouvrage est de René LEVEQUE, Compagnon menuisier du Devoir, et de Henry FAVIER, architecte de l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir
Ils ont, dans un premier temps, présenté une maquette à Jean BERNARD, Premier conseiller de l’Association Ouvrière, et à Jean MAEDER, architecte en charge du projet.
La couverture en ardoise de la maquette était malheureusement irréalisable, pour cause de tors trop important. Après une « petite guerre» à ce sujet entre les charpentiers et les couvreurs, Henry FAVIER décida d’alléger la maquette soit de passer à cinq côtés et de la faire moins torsadée (Ce qui signifie que sur le projet d’origine le nombre de face était différent et le tors supérieur à un demi-tour).
Elle fera donc un demi-tour sur elle-même.
C’est après six mois de profondes réflexions de la part des Compagnons que ces derniers acceptèrent le projet-maquette. Le Compagnon charpentier Ephrem LONGEPÉ fut choisi pour tracer la flèche. Sa construction commença début 1957 et se termina le 17 novembre de la même année.
Une autre source d’informations sur la construction est constituée par les mémoires du compagnon menuisier René LEVEQUE, qui participa à la construction du siège de Nantes. La flèche est citée dans les termes qui suivent:
La flèche torse, cette carotte comme avaient dit certains compagnons, ‘’fut un poème’’.
Tout d’abord fallait-il que les coteries(Les compagnons charpentiers s’appellent aussi entre eux «coterie». Ils ont un patronyme compagnonnique, constitué du nom de région ou province et d’un trait de caractère, par exemple «Limousin Va de Bon Cœur» _ site des compagnons du Tour de France) se mettent d’accord.
Les un voulaient à tout prix débillarder les arêtiers dans des arbres massifs, comme autrefois. Les autres voulaient aller de l’avant et réaliser ces arêtiers en lamellé collé.
Ils avaient l’homme qu’ il fallait pour tracer, le compagnon Longepé « Nantais l’ami du trait ». Qui portait bien son nom .
Le plus ardent défenseur du lamellé collé, parmi les anciens, était « Lyonnais bon cœur » et, parait-il, ce dernier fit tourner, dans les ateliers du compagnons Bouvard à Lyon un morceau d’arbre à l’échelle 1/10ème, représentant le couvert de la flèche torse terminée, pour qu’un essai de traçage soit fait avant la planche à dessin.
Le lyonnais finit par avoir gain de cause. Il fallait faire évoluer le métier et la technique serait donc moderne, avec des arêtiers torses en lamellé collé reposant sur cinq arbalétriers droits, eux-mêmes assemblés par des ceintures pentagonales en planches clouées (pas d’enrayure).
Après avoir pris cette décision, il restait à résoudre le problème du collage des lamelles pour réaliser les arêtiers. René Leveque, ayant une expérience dans la fabrication de sièges en bois collés, réussit à convaincre ses collègues que, faute de colle résorcine (La colle résorcine, appelée aussi résorcine-formaldéhyde, est une combinaison adhésive de résine et de durcisseur qui résiste à une immersion prolongée dans l’eau et présente une résistance élevée aux rayons ultraviolets. L’adhésif, introduit en 1943, a été populaire dans la construction d’avions et de bateaux _ Wikipédia), ils pourraient utiliser une colle de la firme KULMANN qui, si on lui fournissait des échantillons du bois employé pouvaient adapter la matière de base et le durcisseur au travail à réaliser.
Le nantais réalisa une épure au 1/5 pour définir le développement des voliges, leurs épaisseurs étant de 15mm et un arêtier étant composé de 6 voliges. Le bois choisi fut du sapin du Jura sauf pour le poinçon ou le chêne fut retenu. La réalisation du premier arêtier se fit en trois jours, un week-end, et fut un succès , alors que l’ensemble des compagnons était anxieux quant au résultat final. Il faut dire qu’à l’époque la technique du lamellé collé, qui venait des Etats Unis, était toute nouvelle en France.
Puis après le problème de la charpente vint celui de la couverture. En effet plus le tors est important, plus les surfaces sont gauches et, de ce fait, la surface de contact « structure , ardoise » ’diminue ce qui est néfaste, voire rédhibitoire, pour l’étanchéité de la couverture.
Quant à la flèche torse, toutes les ardoises sont clouées sur voliges et, dès que le mouvement de torsion commence, il faut que chaque ardoise soit choisie avec le gauchissement correspondant au besoin. Pour obtenir cela, les coteries ont passé plusieurs jours aux ardoisières d’ANGERS , pour chercher à travers les mises en rebut les ardoises ou les blocs vrillés naturellement, et qui, de ce fait, ne pouvaient pas être commercialisés.
7° VISITE DE LA FLECHE
Après avoir monté quatre étages par un escalier qui démontre le savoir-faire des compagnons tailleurs de pierres et serruriers, on atteint le premier plancher, où se situe l’enrayure de base, puis, par un escalier en colimaçon sur plan pentagonal, on atteint le deuxième plancher où se situent les lucarnes de croupe, à partir desquelles on peut admirer la ville de Nantes.
Du deuxième plancher on peut voir les arêtiers et arbalétriers qui sont contreventés.
8° AUTRES FLECHES TORSES.
Lors de la visite, il a aussi été possible de voir plusieurs pièces de réception de compagnons charpentiers, dans lesquelles tout ou partie est une flèche torse. Celles-ci montrent comment ont été résolus les différents problèmes de géométrie dans l’espace liés à la réalisation d’une flèche torse.
Dans un de ces remarquables travaux, la flèche torse n’est pas située en partie haute, comme à l’habitude, mais en partie basse.
Deux autres pièces méritent l’attention, en liaison avec notre sujet.
Comme cela a été dit précédemment, la documentation concernant cette flèche n’est pas parvenue jusqu’à nous. Néanmoins, sur le plateau d’une table réalisée par des compagnons menuisiers, une vue en plan et une élévation de la flèche sont représentées en marqueterie.
9° ET AUSSI EN PIERRE
Lorsqu’on parle de flèche torse, on pense tout de suite à charpente en bois, mais les charpentiers ne sont pas les seuls à en réaliser. Un exemple est le « Pinacle torse », pièce de réception d’un tailleur de pierre, qui est exposé à l’entrée de la maison des compagnons. Celui-ci a la particularité suivante: sa section droite, ou section par un plan horizontal, est un triangle curviligne.